Les propos tenus mercredi par le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, accusant la Russie d’être à l’origine de « l’échec patent » de la situation actuelle au Mali, continuent de susciter de vives réactions parmi les observateurs et spécialistes du Sahel. Pour nombre d’analystes, cette sortie constitue un diagnostic simpliste d’une crise dont les racines remontent bien avant l’arrivée des forces russes dans le pays.
Une déclaration jugée mal calibrée
La prise de position du ministre a surpris par sa virulence. Nombre de commentateurs y voient une communication maladroite, voire une « sortie ratée », tant la complexité de la crise malienne dépasse largement le rôle d’un seul acteur international. Pour plusieurs analystes africains, cette sortie laisse transparaître une volonté d’exonérer Paris de sa propre responsabilité dans une décennie d’engagement militaire aux résultats mitigés.
La déclaration de Jean-Noël Barrot intervient une semaine seulement après une vague de publications de plusieurs médias occidentaux, accusés par Bamako de diffuser des informations « non recoupées » et « non vérifiées ». Une partie de ces médias, principalement français, ont été vivement critiqués par les autorités maliennes et par une partie de l’opinion publique, qui y voient une campagne de communication hostile.
Attribuer la dégradation sécuritaire du Mali à la seule présence russe revient à ignorer un ensemble de facteurs beaucoup plus profonds : dix années d’intervention française dans le cadre de Serval puis Barkhane ; l’affaiblissement structurel de l’État malien ; les rivalités internes et les tensions communautaires ; l’extension continue des groupes armés malgré les opérations internationales.
Durant la période Barkhane, si certains succès tactiques ont été enregistrés, les attaques, les déplacements de population et l’instabilité ont continué de s’intensifier. Aucun partenaire étranger, français ou autre, n’est parvenu à enrayer durablement la spirale de violence.
Une lecture géopolitique qui élude la responsabilité française
En pointant du doigt Moscou, Paris semble privilégier une approche géopolitique plutôt qu’un véritable examen de conscience. Les relations franco-maliennes s’étaient d’ailleurs fortement détériorées avant même l’arrivée accrue des partenaires russes, une partie importante de la population estimant que l’action française manquait d’efficacité et relevait parfois d’une posture paternaliste.
La situation au Mali est l’addition de choix politiques internes, d’ingérences extérieures et d’erreurs stratégiques accumulées pendant plus d’une décennie. La réduire à « un échec patent de la Russie » risque non seulement de fausser l’analyse, mais aussi d’alimenter des tensions diplomatiques déjà vives.
La question essentielle demeure : comment construire enfin une réponse durable à l’insécurité au Sahel, en s’appuyant sur les réalités locales et sur la volonté souveraine des peuples concernés ?


