Si aujourd’hui beaucoup de personnes me contactent (à l’intérieur comme à l’extérieur) pour mieux se situer sur l’histoire et l’évolution de la littérature malienne, c’est dû à plusieurs raisons (le pilotage du JELMA, les projets d’élaboration des ouvrages sur ladite littérature, la fréquentation des doyens écrivains, etc.). Oumar Kanouté est un poids lourd qui occupe le premier rang des doyens qui m’ont marqué, forgé, orienté et aidé à mieux apprendre et comprendre la littérature malienne. Aujourd’hui, 3 septembre 2025, j’ai appris son décès avec beaucoup de tristesse. Par ce témoignage, je m’en vais mettre l’accent sur les temps forts de notre collaboration.
On s’est connu en 2016 à Kangaba lors d’un atelier d’écriture portant sur la rédaction de la nouvelle, organisé par le DER Lettres de l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (Université Yambo Ouologuem). Il était formateur et j’étais participant. Une année après notre retour à Bamako (année universitaire 2017-2018), je l’ai invité au JELMA comme spécialiste à l’occasion d’un évènement littéraire où j’ai programmé de présenter un exposé oral sur la différence entre le roman, la nouvelle et le conte. L’objectif de cette présentation était de donner l’occasion au professeur de mieux orienter les membres du JELMA sur l’écriture de la nouvelle. Cette séance enrichissante déroulée sous forme de conférence (en Panel : Pr Oumar Kanouté – spécialiste, Modibo Ibrahima Kanfo – présentateur, Souleymane Diallo – modérateur) a permis à beaucoup de Jelmanais à écrire leur première nouvelle et à devenir par la suite des nouvellistes confirmés. Les recueils de nouvelles « La vierge enceinte » de Cristian Bakou et « Maman, déshabille-toi » de Modibo Touré en sont la preuve. Le support audio de cette conférence historique est encore disponible dans les archives du JELMA.
Je n’ai jamais eu la chance de suivre, à l’université, les cours du professeur Oumar Kanouté. Mais, il a été mon maître, mon guide en secret. Dans son salon (à Hamdallaye/Bamako) où je lui rendais visite à chaque fois que j’avais l’occasion, j’ai eu la chance de découvrir l’immensité de son savoir surtout sur l’histoire et l’évolution de la littérature malienne. C’est justement là-bas qu’il m’a fait lire son brillant article intitulé « Panorama de la littérature malienne« , puis il m’a fait découvrir le numéro spécial de Notre librairie sur la « Littérature malienne » publié en 1984, ainsi que ses essais : Le théâtre malien de 1916 à 1976 et Le théâtre malien de 1976 à 2016. Même ses livres chers à lui, qu’il hésitait à prêter aux autres, il me les prêtait. Cette bibliothèque n’a cessé de me plonger dans les rouages de la littérature malienne, notamment par l’origine du théâtre malien, l’influence de la politique sur la littérature, les vérités cachées et sensibles autours de certaines productions maliennes, sa collaboration avec les doyens écrivains, ses manuscrits inédits, les raisons de l’abandon de son pseudonyme (Barou Kanouté), etc.
Chaque fois quand je partais le voir après mes voyages au Sénégal, avec un sourire il m’accueillait par la phrase suivante : « Ah ! le fantôme ! », comme pour me dire que ça faisait longtemps. Passer du temps auprès du Pr Kanouté, c’est boire du savoir sans interruption. C’est pourquoi aux pages 23-24 de mon roman « Sacrés dilemmes » publié en 2024, je lui rendais un vibrant hommage en le plaçant au rang des grands professeurs africains qui font la promotion de la littérature africaine : « Qui pourra finir de commenter toutes ces littératures ? Personne ! Même les chercheurs européens comme Pr Lilyan Kesteloot, Pr Bernard Mouralis, Pr Xavier Garnier, Pr Jacques Chevrier qui ont passé toutes leurs vies à faire bouger les lignes de la littérature africaine, n’ont pas épuisé toutes les pistes. Heureusement, pleins de spécialistes africains sont entrés dans la danse plus tard. Ainsi, chaque pays africain a des grands : Pr Adama Coulibaly de la Côte d’Ivoire, Pr Sewanou Dabla du Bénin, Pr Ambroise Kom du Cameroun, Pr Salaka Sanou du Burkina Faso, Pr Oumar Kanouté du Mali, Pr Mohamadou Kane du Sénégal, Pr Ousmane Mahamane Tandina du Niger, Pr Mamadou Kalidou Bâ de la Mauritanie, etc. ».
Auteur du livre intitulé Les enfants de Nkrumah, Oumar Kanouté fut le rapporteur du Jury des Grands Prix Littéraires du Mali de 1979 à 1986. Sa participation à la conférence portant sur le Théâtre Malien : Genèse et Perspectives en 1978, au Colloque pour une Promotion de la Littérature Malienne en 1979, au Colloque sur la Production Dramatique au Mali en 1980 et bien d’autres réalisations font de lui un professeur exceptionnel. Son étudiant Dr Mamadou Dia a donc raison de dire : « Il fut un grand professeur ! ».
Politiquement, nous n’avions pas la même vision ; il ne supportait pas que je traite le président Moussa Traoré de dictateur. Néanmoins, je prenais tellement de plaisir à l’entendre me raconter des réalités/vérités politiques (incroyables) auxquelles il a été témoin oculaire. Il fut député et a milité durant plusieurs années. En pensant à son héritage littéraire et politique, l’enseignant Oumar Koné, professeur de français déclare avec émotion la formule suivante : « Vraiment, c’est un dinosaure non seulement de la littérature malienne mais également de la politique malienne qui s’en va sans avoir tout dit … oui il est parti sans avoir tout dit ! » Un autre bon souvenir que je garde de lui encore, c’est notre échange fructueux qui a succédé la publication de mon court article intitulé La lutte contre l’apartheid dans « Le cercle de la peur » d’Oumar Kanouté.
Le décès du professeur Kanouté vient s’ajouter aux douleurs récentes que nous avons subies par la disparition de l’écrivain N’Tji Idriss Mariko et de l’écrivain Hamidou Ongoiba qui m’a permis de publier une quinzaine de court articles sur les livres maliens dans son journal Delta News. Que leurs âmes reposent en paix ! Que le Tout-Puissant les accueille tous dans son paradis.
Modibo Ibrahima Kanfo, écrivain et doctorant en Lettres