A la crise sécuritaire qui sévit au Mali depuis janvier 2012 est venue s’ajouter la crise alimentaire présente depuis 2016. Depuis cette date, les attaques terroristes se sont multipliées au centre du pays, dans la région de Mopti avec son lot de victimes civils et militaires et des dégâts qui ont atteint les champs des paysans entrainant une insécurité alimentaire. A Macina et Dogofry, les dégâts dues à cette crise sont énormes mêmes si les causes ne sont pas les mêmes.
A Dogofry, dans la commune de Niono, début janvier 2021, plusieurs champs sont brûlés par les terroristes. Dans les vidéos massivement partagées sur les réseaux sociaux, l’on peut voir des hectares de champs de riz, des moissonneuses batteuses et des motos brûlés.
Cette scène s’est reproduite plusieurs fois au cours de l’année 2021 dans cette parte du pays.
Cela marquait un nouveau tournant dans les modes d’opérations de la Katiba Macina de Amadou Kouffa qui a commencé a perpétré des attaques dans le centre du pays à partir de 2015. Avec l’attaque des champs des paysans, les conséquences seront immédiates.
De peur d’être pris à partie par les terroristes, les paysans, peu à peu ont abandonné leurs champs se repliant sur les quelques hectares qui bordent le village « assez insuffisant pour nourrir la famille donc pas possible pour nous de revendre le surplus comme nous le faisions avant l’arrivée des terroristes pour pouvoir subvenir aux besoins de nos familles » témoigne cet habitant de Dogofry sous le couvert de l’anonymat.
Dans cette zone appelée « grenier du Mali », les denrées ne sont plus à la portée de toutes les bourses. Selon des populations contactées, le kilogrammes du riz à 450 fcfa alors même que le kilogramme du riz n’avait jamais atteint 325 Fcfa à Niono. Une première donc.
« Aujourd’hui, même ceux qui cultivent le riz à Niono et environs préfèrent le vendre pour acheter du mil en quantité qui coûte un peu moins cher » témoigne Aly Napo.
Incapable de travailler leurs champs et de faire donc face aux besoins de leurs familles, les bras valides, par dizaine, quittent les localités de cette zone rizicole pour trouver de quoi s’occuper ailleurs. Ils sont nombreux à jeter leurs dévolus sur les sites d’orpaillages du Sud du pays avec les conséquences qui peuvent en découler.
« Beaucoup de nos frères sont partis travailler dans les sites d’orpaillages l’hivernage dernier. Ce n’est pas évident de descendre sous le sol en hivernage, il y a beaucoup d’éboulements. Très souvent ils nous racontent comment certains de leurs amis ont été ensevelis par des tonnes de terre. Tout ça ne nous rassure pas » dit, songeur, Amadou avant d’espérer que « la crise prenne fin au plus vite afin que nous puissions nous retrouver à travailler nos champs et à nous nourrir nos familles comme avant ».
Cette situation n’épargne pas les femmes. Avec leurs activités de jardinage, leurs récoltes de tomates de choux, d’oignons, de carottes, de piment et autres, elles parvenaient à subvenir à leurs besoins et aider au sein des ménages. Mais depuis l’éclatement de la crise, elles sont réduites à labourer les arrière-cours. « Si nous avons justes quelques légumes pour nos sauces, cela est largement suffisant. Mais même avec cela, à l’allure où vont les choses, nous n’allons peut-être plus en avoir », se désole la responsable d’une organisation féminine de Dogofry.
L’office Riz, bourreau des paysans de Macina ?
Contrairement à Niono, la commune de Macina était jusqu’il y a quelques jours épargnée par les attaques terroristes visant les champs. « En début Novembre, à Bougouwèrè, les terroristes ont brûlé un champ de riz arrivé à moisson. C’est le premier champs brûlé dans la commune depuis le début de la crise » témoigne Kalilou Sow un habitant de Macina. Si ces attaques sont à la base de l’insécurité alimentaire qui s’installe dans le cercle de Niono ici à Macina, c’est plutôt l’Office Riz que les paysans pointent du doigt comme l’auteur de leurs difficultés.

Selon Dramane Kalapo, membre du regroupement des paysans de Macina, les champs de leurs zones ne sont plus rentables à cause du mauvais entretien des infrastructures. « Cette année, il a beaucoup plu, de nombreuses digues ont cédé causant l’inondations de plusieurs hectares de champs de riz. Le dernier aménagement de nos champs par l’office a été fait en 1999. Depuis lors, plus rien » dit-il.
Les rendements à l’hectares ont été en deçà des attentes. « Chaque année je récoltais en moyenne 25 sacs de riz par hectare mais cette année pour mes deux hectares je n’ai que 30 sacs » dit Kalilou Sow.
A cela, il faut ajouter l’indisponibilité de l’engrais cette année. D’habitude subventionné en grande quantité par l’État, l’engrais, faute de subvention était hors de prix pour les paysans. Le sac de 50 kg de la DPA est passé de 17000 Fcfa à plus de 42000 Fcfa ; au même moment, l’Urée est passé de 12500 Fcfa à plus de 32000 le sac. Beaucoup de paysans n’ont pu s’offrir de l’engrais cette année ce qui a eu des conséquences sur le rendement des champs.
« D’habitude nous recevons 7 sacs d’engrais subventionnés de l’État. Mais cette année ce n’était que deux sacs et même là, il y avait une forme de discrimination dans le partage de ces sacs. Certains ont été favorisés par rapport à d’autres » s’indigne Issa, qui est promoteur de bail dans la zone Office Riz de Macina.
« Même ceux qui ont eu les bons de l’Office pour récupérer les engrais subventionnés auprès des commerçants n’ont pu entrer en possession des sacs. Beaucoup de commerçants n’ont pas voulu donner l’engrais car ayant des impayés chez les autorités » dit Issa.
Guerre russo-ukrainienne et approvisionnement en intrants agricoles
Avec la crise russo-ukrainienne, le coût de l’engrais a augmenté. Un argument servi par les autorités maliennes pour expliquer le coût de l’engrais. Les opérateurs économiques, sachant que le prix de l’engrais est très élevé sur le marché international, ont posé quelques conditions, selon le ministre du développement rural au début du mois de Septembre 2022 en énumérant ces conditions : que l’État paie les arriérés de 2020 et de 2021 ; exiger à l’État d’acheter au comptant ; vendre le sac d’engrais à au moins 55000 Fcfa le sac de 50 kg. Ce à quoi Youssouf Coulibaly, le président du collectif des fournisseurs d’intrants agricoles du Mali (CFIAM) s’érige en faux, affirmant que « le prix du sac d’engrais n’a pas été vendu à 55000 Fcfa » et de confirmer que les fournisseurs réclament leur paiement pour des services qui datent de 2 à 3 ans.
Dans cette guéguerre entre gouvernement et fournisseurs agricoles, le paysan se retrouve pris entre le marteau et l’enclume. Aujourd’hui avec une présence plus remarquée des forces armées maliennes dans cette partie du pays, les attaques ont diminué. Depuis le début de l’année 2022, il n’y a presque pas eu d’attaque de champs à Dogofry dans le cercle de Niono.
Pour les paysans de Macina, la crise entre la Russie et l’Ukraine semble être la cause de leurs malheurs s’ils s’en tiennent aux explications données par les autorités.
Prévisions céréalières générales
Selon les chiffres de l’Office du Niger, cette année sur une prévision de 900 000 tonnes, les sept zones de productions de l’Office du Niger vont produire 800 000 tonnes. Il s’agit de Kolongo, Niono, Ké-Macina, Molodo, NDébougou, Kouroumari et Mbéwani.
Selon le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine, les récoltes des céréales sont globalement moyennes dans le pays avec des poches de baisse moyenne à importante production (- 25% à plus de 50%) par rapport à la moyenne dans les zones d’insécurité du centre (Koro, Bankass, Bandiagara et Douentza le nord (Rhaous, Ménaka, Ansongo et Gao) et le Sahel occidental des régions de Kayes et Koulikoro.
Le résultat provisoire de la campagne agricole montre que la production globale de céréales est en légère baisse d’environ 4% par rapport à la moyenne quinquennale et de 7%par rapport à l’année 2020-2021.
La baisse des productions agricoles est liée à la mauvaise répartition spatio-temporelle de la pluviométrie, aux ennemies des cultures et à l’insécurité qui a limité les superficies cultivées dans la région du Liptako Gourma et la zone de l’Office du Niger de Niono.
Mohammed Dagnoko